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LA FORMATION CONTINUE DANS LES PETITES ET MOYENNES ENTREPRISES : SPÉCIFICITÉS ET PARADOXES

LA FORMATION CONTINUE DANS LES PETITES ET MOYENNES ENTREPRISES : SPÉCIFICITÉS ET PARADOXES par Jean-Paul Géhin Les petites et moyennes entreprises ont des comportements spécifiques en matière de formation continue. Les écarts avec les grandes entreprises sont tranchés, qu'il s'agisse de l'effort de formation, des catégories de salariés concernés, ou encore de l'usage qu'elles font de l'appareil de formation continue. Toutefois l'auteur, en adoptant une approche plus large de la formation continue définie comme l'ensemble des pratiques reconnues comme telles par les acteurs de l'entreprise, constate que les PME ne sont pas sans atouts. L'analyse du comportement des petites et moyennes entreprises concernant la formation continue de leurs salariés se situe au croisement de plusieurs préoccupations actuelles des pouvoirs publics comme de l'ensemble des partenaires sociaux : — d'une part, la question du rôle de la formation dans les mutations de l'appareil de production est posée ; la plupart des observateurs s'accordent pour reconnaître la « nécessaire élévation du niveau de formation » des sortants du système éducatif initial comme des salariés en activité. Ce dernier aspect implique un développement significatif de l'effort de formation des entreprises pour faire face aux évolutions technologiques, organisationnelles et sociales auxquelles elles se trouvent confrontées : actions de formation visant la transformation des qualifications existantes, le développement de nouvelles compétences (polyvalence, gestion de la production, responsabilisation accrue...) ou la reconversion des salariés à l'intérieur comme à l'extérieur de l'entreprise. Pourtant, malgré le réel consensus qui s'établit pour accorder à la formation un rôle clef dans les mutations techniques, différents travaux (Rosanvallon - Troussier 1983 - Dubar 1985) * soulignent un décalage sensible entre les discours et les pratiques à ce niveau. Ils constatent une inadéquation entre les actions de formation continue réalisées (forme, contenu, durée, volume...) et les objectifs affichés ; plus globalement, les politiques de formation apparaissent rarement connectées aux stratégies industrielles et sociales des firmes ; — d'autre part, on assiste à une évolution notable sur la décennie des analyses de la place des petites et moyennes entreprises dans le tissu économique et dans l'évolution de l'emploi. Durant les années cinquante et soixante marquées par la croissance et un processus rapide de concentration des activités, les petites entreprises sont essentiellement considérées comme une catégorie résiduelle. Cette perspective se trouve renversée durant les années soixante-dix avec le constat réalisé en France comme dans la plupart des pays développés, d'une croissance au moins relative des PME dans l'emploi total. « Les petites et moyennes entreprises auraient fait preuve depuis une dizaine d'années d'un dynamisme supérieur à celui des grandes entreprises en matière de création d'emplois » (Delattre, 1982). Cette évolution a, bien entendu, renforcé et l'intérêt porté aux PME, et les besoins de connaissance sur ce type d'entreprises. Ainsi différents travaux récents s'interrogent sur la particularité du comportement des PME en matière de technologie, de production, d'innovation ou encore, pour ce qui nous concerne plus directement, d'emploi (Hollard - Tiger 1981) ou de formation (Lutz 1983). L'étude des pratiques de formation des PME (1) s'inscrit explicitement (2) dans le contexte d'un intérêt renforcé des pouvoirs publics et des décideurs sur la place des PME dans le développement économique et sur le rôle Formation Emploi n" 16 - octobre-décembre 1986. La Documentation Française. * Cf. bibliographie à la fin de l'article. (1) J.-P. Géhin avec la collaboration de J.-F. Germe. Formation continue et PME, Document de travail n° 15. CEREQ. octobre 1985. (2) Il s'agit, en effet, d'une demande du groupe de stratégie industrielle (GSI n° 4) du Plan, chargé de réfléchir sur les moyens pour développer l'effort de formation continue des entreprises. Lors de la mise en œuvre de la loi de juillet 1971 , le législateur et les services administratifs ont été amenés à préciser la définition de la formation continue, établissant ainsi une règle du jeu financière (détermination de ce qui est imputable ou non pour l'obligation de dépenses) mais aussi sociale (négociation du plan de formation par le comité d'entreprise). Quatre critères principaux sont utilisés : la notion d'action programmée, la nécessité d'une progression pédagogique, la présence d'un formateur et l'extériorité des locaux de formation par rapport à la production. Enfin, la loi de juillet 1971 contient une distinction difficile à mettre en œuvre concrètement entre adaptation au poste de travail et adaptation à l'emploi. Cette définition officielle de la formation, qui se concrétise en fait dans la notion de stage, s'est avérée trop rigide face aux évolutions du système productif et des pratiques des entreprises. Elle a été modifiée légèrement par le décret du 18 mai 1985 qui assouplit la notion de stage et rend possible des formations au sein de la production. Les statistiques officielles, mais aussi la plupart des travaux sur ce sujet, acceptent implicitement cette définition de la formation continue qui est fortement induite par le contexte législatif et contractuel et qui, de ce fait, tend à se déformer dans le temps. Ainsi, la loi de juillet 1971 a eu comme conséquence de faire comptabiliser par les entreprises des pratiques existant auparavant mais non répertoriées comme telles ; c'est le cas des actions de formation accompagnant l'achat d'un bien d'équipement ou la fourniture d'un service qui étaient auparavant incluses dans le contrat principal et qui, maintenant, font de plus en plus souvent l'objet d'une convention de formation distincte. De même, l'accord contractuel puis la loi sur l'alternance devraient amener à terme une formalisation des pratiques anciennes liées à l'accueil et à la mise au travail des nouveaux embauchés. Il y a donc là un facteur de surestimation de la croissance réelle des pratiques de formation des entreprises. En revanche, on constate dans nombre d'entreprises, et en particulier dans les PME, un décalage sensible entre les formations correspondant aux critères de la définition et figurant dans les déclarations fiscales comme dans le plan de formation, et les pratiques de formation effectivement mises en œuvre dans l'entreprise. Ainsi ne sont pas officiellement répertoriées comme formations de nombreuses pratiques hétérogènes et souvent diffuses qui vont de l'auto-formation, jusqu'à des formes variées d'apprentissage sur le tas en passant par toute une gamme de séances de « formation- information-réflexion ». La plupart de ces pratiques présentent en commun de ne pas introduire de coupures formelles entre formation d'une part et exercice du travail et conditions de la production d'autre part. La question qui se pose alors est celle des limites de la notion de formation ainsi élargie et notamment de la distinction entre acte de formation et acte de production. En l'absence de critères simples substituables à ceux de la définition officielle, on a adopté pour l'enquête sur le terrain une démarche pragmatique et exploratoire. A été considéré comme formation l'ensemble des pratiques reconnues comme telles par les responsables des entreprises enquêtées. des entreprises en matière de formation de la main- d'œuvre. Comme la plupart des travaux portant sur le comportement des petites entreprises, cette étude s'est heurtée à d'importantes difficultés méthodologiques. La première difficulté concerne la notion même de PME définie d'abord par le nombre de salariés. Sans entrer ici dans le débat sur le seuil au-delà duquel on ne peut plus parler de petites entreprises (100 — 200 — 500 salariés !), on remarquera que le seul critère de la taille apparaît insuffisant. Dans les faits, il est souvent difficile de distinguer une PME d'un établissement de petite taille et surtout d'une entreprise juridiquement autonome mais économiquement et institutionnellement rattachée à une grande entreprise. Il est donc nécessaire de prendre en compte un second critère pour définir la PME : celui de l'unité entre la propriété du capital et la - direction effective de l'entreprise (3) ; critère mis en avant par la principale organisation professionnelle du secteur, la CGPME * : « les petites et moyennes entreprises sont celles dans lesquelles les chefs d'entreprise assu- (3) Ce critère, allié à celui du nombre de salariés, a été notamment retenu par M. Hollard et H. Tiger pour définir la PMI in Pratique des PMI en matière d'emploi, IREP. Développement, Grenoble, décembre 1981 (pp. 10 et 11). * CGPME : Confédération générale des petites et moyennes entreprises. ment personnellement et directement les responsabilités financières, techniques, sociales et morales de l'entreprise quelle que soit la forme juridique de celle-ci ». Soulignons que cette définition présente l'intérêt de mettre l'accent sur une des principales caractéristiques des PME : l'importance des relations personnalisées. La seconde difficulté tient à l'hétérogénéité du groupe des PME qui est soulignée dans la plupart des analyses sur ce thème. A été ainsi proposée toute une série de critères distinctifs conduisant à la construction de typologie et reposant soit sur les résultats économiques de l'entreprise et sa situation financière (Ibnabdel Jalil, 1980) (4), soit sur les caractéristiques générales de la production dans l'entreprise et leurs conséquences en matière de qualification et d'emploi (Delcourt, 1984) (5), soit enfin sur leurs comportements en matière de formation de la (4) Sont ainsi distinguées les PME, viynères, moyennes, rentières, fragiles et performantes. Cf. N. Ibnabdel Jalil, Contribution à l'analyse financière et typologique des PME industrielles, Université de Rennes, octobre 1980. (5) J. Delcourt distingue quatre types de PME présentant des besoins de formation différenciés : PME à technologie traditionnelle, PME innovantes, PME sous-traitantes, PME de services supérieurs... J. Delcourt, "Formation professionnelle et création de nouvelle formes d'activités" in Formation professionnelle n° 14, mai 1984.